GUIDE ...

Publié le par Paul Bonhomme

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Un silence assourdissant plane sur le petit groupe. On n’entend que les respirations sourdre de temps à autre, tel le vol désordonné du chocard lors d’une accalmie précieuse. Encordés au milieu du glacier, la tension est prééminente.

Le brouillard masque la moindre des aspérités, il se retourne : seules quelques ombres éparses le suivent. Aveuglés par les épines de neige qui cinglent leur visage, ils progressent à tâtons. Une seule direction à suivre : le refuge.

Bientôt une ombre plus grosse que les autres apparaît devant eux, de plus en plus grosse, massive, opaque.

Une porte bientôt s’ouvre … et la chaleur envahit tout.

 

...

 

Je suis fier d’être guide de haute montagne. Je suis heureux de pouvoir rassurer ceux que j’amène fouler les cimes, de pouvoir leur apporter un peu de sérénité. Je suis heureux qu’ils puissent vivre des moments de bonheurs peut-être un peu plus intenses que d’habitude, qu’ils apprennent un peu d’eux-mêmes, qu’ils ramènent chez eux des souvenirs bruts, sans fards.

 

Et pourtant à priori, ce métier ne sert à rien ; à priori ce métier ne crée aucune richesse.

 

C’est peut-être pour cela que ce métier est essentiel.

Nous ne transportons rien que nous même et ce dont nous avons besoin pour subsister. Accompagnés des voyageurs que nous emmenons, nous progressons. Nous ne découvrons et ne faisons découvrir souvent que des images, des sensations qui s’importent et s’imposent en bribes dans nos inconsciences.

 

Pourtant là haut, nous regroupons le monde.

 

Parce que dans l’effort de l’incertitude le seul repère est en l’Homme.

 

Parce que sans repères, sans barrières, ce qu’il reste au creux des mains calleuses, brillant comme le cristal le plus précieux, ne peut-être que de la confiance, de la pugnacité, de l’honnêteté et du partage.

 

Ne voyez aucune audace dans ces propos, n’y voyez aucune prétention : le guide ne fait que s’adapter au milieu dans lequel il évolue, et ce milieu ne tolère aucune vanité ni aucun égoïsme, c’est ainsi (en tout état de cause, cela devrait être ainsi).

 

Nous ne sommes pas nombreux à exercer ce métier et même si nous ne pouvons être d’accord sur tout, nous sommes tous  façonnés d’une manière ou d’une autre par la Montagne.

 

Notre mission, pour autant qu’elle existe, n’est pas de convaincre mais d’éduquer, de rassurer. Notre mission, pour autant qu’elle existe, n’est pas uniquement d’offrir mais aussi d’inspirer, de suggérer. Notre mission, finalement, n’est pas de lutter contre une société qui s’individualise ni de la subir, mais bien de montrer qu’un autre choix existe, dicté par la nature.

 

L’effort de l’incertitude n’est pas propre à la montagne, il est profondément  ancré à l’actualité : continuer sans réellement savoir où nous allons, continuer à ouvrir ses bras, son esprit, continuer à faire confiance en l’autre, en soi-même. Continuer malgré tout à être honnête, à partager, à chercher cette porte dans le brouillard et à espérer y trouver la chaleur de l’inconnu.

Ne serait-ce pas là une belle allégorie du monde actuel ?

 

Il faudrait que tous, nous réussissions à nous poser cette question : à la fin, que nous restera-t-il lorsque épuisés, nous arriverons au bout de nous même ?

Que nous restera-t-il lorsque les doutes nous envahiront et que le genoux sera presqu’à terre ? Lorsque le vent soufflera, que nos extrémités s’ankyloseront, que la vue se troublera, quelle issue pourrons-nous attendre ?

 

A la fin, que nous restera-t-il d’autre que la nécessité absolue de l’autre ? Son aide, son soutient, sa confiance ?

 

Etre ensemble, solidaires et honnêtes n’est pas un choix en montagne, c’est une obligation, une question de survie.

Bien au-delà des montagnes, c’est pour moi ce à quoi, modestement, chacun devrait tendre : être guide de sa propre vie, montrer la voie à ses enfants, à ses proches, à ses amis.

 

Montrer toujours, au milieu des crevasses et à travers le brouillard, le chemin du refuge.

 

 

Nota bene : plus d’information sur les Guides de Haute Montagne ici : http://www.sngm.com

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