Ecrits de voyage


Ibex 
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L'ibex flamboyant, fiévreux et agonisant
au bord de l'autoroute frontière
puait pendu sur un tripode bancal
dans la ville de poussière.

L'unique rue ressemblait à un fleuve enfumé dès l'aube
sur lequel nous croisions à la dérive
des regards fuyants et de petites ombres éphèmères au pas rapide.

Au bord de l'eau, les arbres morts
étaient vieux, désoeuvrés, ivres ou fous
les roseaux pliés ou morts aussi
étaient de fourbes enfants rieurs
surveillés par de frêles filles amères.

Les regards s'évitaient, méthodiques
mais nous pûmes apercevoir avant la nuit
au milieu du fleuve
passer parmi des boeufs squelettiques
les yeux vitreux de trois jeunes soldats.

Il commençait à faire froid 
et les boeufs tremblèrent.

Souvenirs de Zangmu, "le pont de l'amitié", frontière sino-népalaise, octobre 2005.




Boule de neige
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Sa vie scintille telle l'eau au soleil qui perce entre deux orages.
Sa vie s'épure avec le temps qui passe.

Des mots et des monts
des morts et des démons
il pleure sans savoir pourquoi
il se souvient.

Son histoire tient dans une boule de neige,
au soleil elle fond
se renforce et enfin se brise.

Tout a commencé par des rêves d'enfant
mais les promesses ont été rompues
et les rêves s'ébrouent
s'ébranlent et enfin s'épuisent.

Le Ponteil, France, automne 2006


The Dream 
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Dans l'insomnie des nuits de séracs
pendus qui tombent et se fracassent,
il s'est réveillé haletant
attendant que le bruit passe,
n'osant pas ouvrir la tente.

Comme si cet infime morceau de toile jaune
pouvait le protéger d'un canon!

Les yeux exorbités dans le noir il sentit venir à lui
l'expiration profonde de l'avalanche.

Les palpitations de son coeur remontèrent jusqu'à ses tempes,
persuadé de sa noyade imminente 
il prit une dernière inspiration.

Puis plus rien.

Chonbardan glacier, Népal, octobre 2007



Pasang's Song  
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Pasang se faufile entre les jambes de sa mère. Trois occidentaux sont arrivés hier soir et il en a peur. Il n’a pas trois ans et court pourtant dans les méandres arides de l’alpage, les fesses tendues à l’air hors du pantalon kaki et sans fond par sa mère décousu.

Son père est Yakman, aidé de sa femme il pèse et entasse les charges mystérieuses des étrangers sur le dos capricieux de ses bêtes dociles.

Sa mère fluette est courageuse.

Pasang tombe, se remet debout, essuie ses mains sur son pantalon sale et court vers sa maman. Elle n’a pas le temps ce matin, son mari est seul pour charger huit yaks et il lui faut de l’aide. Alors il attend, une heure, deux heures, trois heures, il se promène au milieu des bêtes, fuit les occidentaux qui lui font des sourires, se méfie, les observe discrètement du coin de son œil, blanc comme neige.

Lorsque le troupeau s’ébranle enfin bâté, Pasang craque, se jette à plat ventre et crie, pleure, tape de ses petits poings fermes la terre rêche : il veut sa maman !

Il ne le sait pas encore, mais son père mourra avant qu’ il n’atteigne vingt ans, sa mère ne lui survivant pas.

Je n’ai pas vu de vieux yakmans.

Leur lieu de travail : les hauts plateaux tibétains, coincés entre quatre et six mille mètres d’altitude. Leur maison : une toile de coton jaunie. Leurs chaussures : des tennis trouées.

Je n’ai pas vu de vieux yakmans.

Un jour couché dans l’herbe sèche Pasang a vu un énorme oiseau passé très haut dans le ciel au-dessus de la déesse de ses parents et il a su, il a su à cet instant qu’un jour un de ces oiseaux viendrait lui voler ses rêves d’enfant.

Camp de base intermédiaire, Cho Oyu, 5200m, Tibet, le 03 septembre 2005.



H
imalayan Highway
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Cela fait près de quatre heures que nous roulons. Le quatre-quatre bondit de droite et de gauche pour éviter les ornières, sans succès, nous sommes ballottés dans tous les sens.

Derrière les vitres teintées la poussière, derrière la poussière des collines à perte de vue, nous nous enfonçons dans le cœur du Tibet. Ici les montagnes sont des déesses autour desquelles s’enroulent des princes et des princesses, dunes arides de six mille mètres de haut, ici, rien n’est comparable.

Derrière les vitres teintées la poussière, dans la poussière des hommes, des femmes et leurs enfants travaillent à combler les ornières.

Dans la vallée des tombes, nombreuses, témoins morbides de la dureté de la vie.

Pourtant ils sont chez eux.

Les pâturages où crame l’herbe sèche que broutent encore quelques yaks perdus leur appartenaient avant, lorsque la terre était à tout le monde, distribuée seulement par les dieux.

A présent ils ne possèdent plus que leur survie.

La nuit, lorsque les températures descendent au-dessous de zéro, ils se terrent sous la toile sale de coton noircie par la suie des bouses de yaks qui flambent.

A quelques mètres de la route, sur des couvertures remplies de la poussière des quatre-quatre aux vitres teintées, ils s’endorment et rêvent aux temps anciens où ils vivaient libres sur leur terre.

A présent, munis de pelles et de truelles qui ne leur appartiennent pas, ils s’enterrent.

Himalayan highway, Tibet, le 30 août 2005. 



Miettes

 

Assis à la table en zinc

étincelante et lustrée

les miettes de son sandwich aseptisé

tombent en postillons de neige

puis s’éparpillent dans la lumière.

 

Son geste est arrogant

fils de cheik

lorsqu’il appelle la serveuse asiatique

affable et fatiguée

afin qu’elle nettoie sa table.

 

Suant la bouche ouverte

il n’a pas fini de manger

aboyant son sandwich en salivant.

 

La montre qui pend au poignet de l’adolescent

rutile et aveugle

les diamants diffusant une lumière agressive.

 

La jeune serveuse pousse les miettes

sur son plateau de plastique rose.

 

Ils ne se regardent pas.

 

Aucun d’eux ne sait ce que c’est

qu’un rêve d’enfant.

 

Aéroport de Dubaï, août 2005
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L’accordéoniste

 

Le soleil se couchait

sur une mer de nuages pourpre

on aurait cru voir le soufflet

distendu et percé

d’un vieil accordéon.

 

Au-dessus virevoltaient

d’autres volutes grises et sombres

les nuages se disposaient respectueusement

en révérences répétées.

 

L’accordéoniste se permettait une pause

son instrument essoufflé posé sur ses genoux

la fumée de sa cigarette planant au dessus.

 

  

Dans l’avion au-dessus de l’Arabie Saoudite, septembre 2007.
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Regards croisés

 

Tu as croisé ces regards

étonnés de te voir les regarder

plein d’une joie intérieure

de toutes ces prières qui volent au vent.

 

Des drapeaux flottent là-haut

sur les collines vertes et ocres.

 

Toutes les nuances

de l’ocre et du vert.

 

Lhassa, août 2005.
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Le Lhassa bar

 

 

Dans un antre obscur de la nuit népalaise de jeunes musiciens doués

saturaient le Lhassa Bar de sons anachroniques.

 

Saoul d’alcool et de fatigue

un vieillard dansait entre les tables enfumées.

 

Black Magic Woman envahissait

d’un rythme lancinant et puissant

les enfants ivres.

 

Vautrés dans l’herbe

leurs yeux ne supportaient plus le fixe

essayant le temps d’une nuit

d’oublier que demain

il allait encore falloir vivre.

 

 

 

Kathmandu, octobre 2007.