Une toute autre histoire

2 dates : 27 mai 2017, 8 mai 1978. Entre ces 2 dates 39 années sont passées sur les flancs de l’Everest. 39 années de conquête, de gloire, de records en tous genres, le plus jeune, le plus vieux, l’aveugle, le gars en slip, celui qui est venu en vélo, le plus rapide … 39 années d’exubérances, de lâchetés, de courages, une petite histoire qui n’arrête pas de défier les chroniques, d’envahir (avec parcimonie) la une des journaux.

Mais qu’est ce qui différencie ces 2 dates ? Qu’y a-t-il de différent entre la performance que d’aucun disait impossible de monter sans oxygène pour la première fois aux alentours de 9000 mètres et la performance d’y monter 2 fois dans la même semaine ?

TOUT.

Oui, tout est différent. Dans un cas, l’égocentrique Messner mettait en jeu sa vie, reconnaissant s’aider de temps à autres de substances aujourd’hui illicites, s’affichant une bouteille de rhum à la main, fumant le cigare… Dans l’autre, le sympathique Jornet donne à voir l’image maitrisée en tous points d’un coureur des cimes, sportif jusqu’au bout des ongles, enchainant les kilomètres et les mètres de dénivelé à la seule force de sa VO2 max lunaire. Dans un cas, le tourmenté Messner, victime d’une polémique hallucinante, avait déjà perdu son frère, dans l’autre, Jornet concluait un projet de records lissé par une communication sans faille.

« L’idée de réaliser des chronos sur les 8000 ne me plait pas » disait Reinhold à la suite du décès de Benoit Chamoux et de Pierre Royer au Kangchenjunga en 95. Pourquoi ? Peut-être parce qu’il ne voulait pas « montrer une voie dans laquelle beaucoup mourraient ensuite en voulant la suivre. »

C’est certainement là un des points d’achoppement qui peut expliquer la difficulté d’acceptation de la mode du « trail » et de son principal ambassadeur Kilian Jornet par une partie de la « communauté » montagnarde. C’est certainement également sur cette difficulté qu’est venu buter le regretté Ueli Steck.

Parce qu’à force d’aller vite, plus personne n’arrive à suivre.

Oui, la différence c’est que dans un cas l’Everest fait partie d’une Histoire, personnelle, égocentrée, parfois arrogante voire agressive, parfois même maladive (cf la quête du Yéti) mais toujours marquée par la recherche, la remise en questions, les doutes, les peurs … et que dans l’autre cas, il n’existe que peu de place pour le partage de la corde (si corde il y a), que les doutes, les peurs, les renoncements, les défauts paraissent poncés par les entrainements dantesques et l’affolement des aiguilles de la montre.

Hors l’alpinisme doit nous faire grandir et non pas seulement exister.

Pour ma part j’ai toujours admiré Kilian et Ueli mais, contrairement à Reinhold qui m’interrogeait sur ma propre pratique voire ma propre existence, qui m’énervait ou qui m’enchantait (ses escalades dans les Dolomites en grosses lors de sa jeunesse restent complètement démentes), je n’ai jamais réussi à comprendre l’histoire qu’ils souhaitaient raconter.

Je reste convaincu que des ponts doivent être jetés entre coureurs et alpinistes.

Mais ces ponts ne peuvent être soutenus que par des blocs, parfois instables et bancals, des poutres de mélèzes, des cordes, des mains calleuses, des amitiés sincères et des solitudes effrayantes … et non par la seule virtualité d’un chronomètre ou de réseaux sociaux.

J’admire le Kilian qui est monté au sommet du toit du monde 2 fois dans la même semaine sans oxygène … j’aurais adoré le Kilian qui pour une fois aurait renoncé au sommet sans autre raison que le fait d’avoir appris la perte d’un ami.

Tel un Silvio Mondinelli (6^ème homme à avoir gravit tous les 14 sans oxygène), plantant tout au camp de base de la face sud-ouest du Shishapangma juste pour retrouver les siens, il aurait raconté là une toute autre histoire …

PS : cela vaut le coup d’aller voir qui est Silvio Mondinelli, voir aussi Nives Meroi … D’autres approches sont possibles, racontant d’autres histoires et d’autres exploits au moins aussi remarquables.