Un bruit sourd ...

Publié le par Paul Bonhomme

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« N'agissez jamais à la hâte, prenez garde au moindre pas. 
Et dès le début, pensez que ce pourrait être la fin." E. Whymper.

 

Un bruit sourd. Je sens sous mes skis la Terre qui s’écrase et se met à vivre. Une vague, je vois une vague qui descend sur moi à la vitesse du vent. Je me débats, j’essaye de rectifier le tir, je me précipite dans la pente tout à l’heure immobile qui se dérobe maintenant, liquide. Je ne pense plus qu’à m’échapper. Ne voyant pas les rochers entre les vagues, je fuis.

Un ou deux souffles plus tard, je me réveille dans la nuit claire et bleutée d’un carcan de neige. J’entends mon cœur battre, à moitié fou. J’entends ma respiration saccadée et l’agitation subtile dehors, si lointaine. Plus rien ne bouge, plus rien ne peut bouger.

 

 

« C’est pourquoi, à l’envers de notre désir, nous nous dirigeons vers une nature pas trop naturelle. Une nature aménagée. Une nature « châtrée », dépourvue du seul élément qui, pourtant, nous y appelle : l’incertitude. » J-M. Asselin, Vertical, déc 95.

 

Le ski de montagne est en plein essor, c’est indéniable. La reconnaissance par le Comité international Olympique de la fédération internationale de ski-alpinisme (ISMF) en est l’un des exemples ( http://www.ffme.fr/ski-alpinisme/article/reconnaissance-du-ski-alpinisme-par-le-cio.html ).

 

Cette reconnaissance est plutôt réjouissante : médiatiquement elle favorisera la visibilité de l’activité, elle permettra en outre une ouverture intéressante à la jeunesse et à un public élargi. Idéalement (rêvons un peu), cela pourra peut-être désamorcer la course à l’équipement des stations, créer une alternative, créer de l’attraction vers une activité impactant moins l’environnement. Idéalement, cela suscitera de la curiosité voire du respect envers l’ensemble du milieu montagnard dans lequel les pratiquants évoluent.

Pour autant il faut rester vigilant : les courses de ski-alpinisme telles que présentées au CIO n’ont que peu de liens avec l’alpinisme et les raccourcis sont nombreux entre les courses de plus en plus sécurisées et la haute montagne qui elle, ne s’aménage pas et supporte mal la surfréquentation.

 

 

«  Bien sûr, on peut dire d'un alpiniste qu'il se prépare comme un autre sportif. Mais pour lui, se préparer, c'est établir aussi une relation avec la montagne, s'en imprégner." J-C. Lafaille.

Il fut un temps où les volutes enfumées embuaient longtemps les vitres des refuges à la veille d’une course. Un temps où les sacs dégorgeaient de cordes, de saucissons et de goulots de vin rouge, où on allait en montagne un point c’est tout. Coincé entre « les pelles à tarte et les allumettes »*, le ski de montagne est devenu schizophrène et, ne sachant plus à quelle mode se fier, le pratiquant se retrouve aujourd’hui confronté à un questionnaire à choix multiple : ski-alpinisme ? free-ride ? ski de randonnée ? free-rando ? entrainement ? performance ? longue journée ? quel sac ? quel poids ? et les crampons : alu ou acier ? collants ou gore-tex ? airbag ? avalung ? … Au fait, je vais où aujourd’hui, en montagne ?

« Ainsi, voici le ton trouvé, où l’indifférence est atteinte. C‘était bien l’important. Tout à partir de là coulera de source …une autre fois. Et je puis aussi bien me taire. » F. Ponge, La rage de l’expression.

Alors oui, à force de spécialiser les activités jusqu’à en ronger tous les os, il semble normal que le ski-alpinisme devienne un sport olympique.

Il ne nous reste plus qu’à faire confiance aux fédérations, aux entraineurs, aux organisateurs, aux sportifs afin qu’ils évitent les raccourcis des compétitions et les nombreux écueils de l’olympisme.

Il ne nous reste plus qu’à être nous-mêmes suffisamment prompts et lucides afin d’éviter les amalgames.

Il ne nous reste plus, finalement, qu’à être constamment vigilants afin que le poids plume, si cher aux sportifs que nous admirons, ne devienne jamais, au détour d’un bruit sourd, bien trop lourd.

P.Bonhomme, Cercier, le 18/04/2014

 

* termes désignant tour à tour les skis très larges (>100 au patin) et les skis « ultra-légers » utilisés en compétition.

 

 

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