Les poèmes primés au festival du livre de montagne de Passy 2008
Le Silence
Dans l’insomnie des nuits de séracs pendus
qui tombent et se fracassent
tu t’es réveillé haletant
attendant que le bruit passe
n’osant pas ouvrir la tente.
Comme si cet infime morceau de toile jaunie
pouvait te protéger d’un canon !
Les yeux exorbités dans le noir tu sentis venir à toi
l’expiration profonde de l’avalanche.
Les palpitations de ton cœur remontèrent jusqu’à tes tempes
persuadé de ta noyade imminente
tu pris une dernière inspiration
puis plus rien.
Glacier de Chonbardan, octobre 2007.
Les hautes terres vierges
Là haut nous sommes tous
également cramés par le soleil
proies des garnisons d’arêtes acérées qui nous dominent
de leur grès
de leur granit
de leur calcaire
qui nous envoient des salves meurtrières
rugueuses roches rugissantes, roulements de tambour
longs sifflements frôlant nos souffles courts.
Il arrive cependant que les soldats déposent les armes.
C’est alors que nous autres bohémiens des cimes
voleurs de silence
c’est alors seulement
que nous pouvons traverser l’univers paisible et glacé
des hautes terres vierges.
Nyalam, octobre 2005.
L’ibex*
L’ibex flamboyant, fiévreux et agonisant
au bord de l’autoroute frontière
puait pendu sur un tripode bancal
dans la ville de poussière.
L’unique rue ressemblait à un fleuve enfumé dès l’aube
sur lequel nous croisions à la dérive
des regards fuyants
et de petites ombres éphémères au pas rapide.
Au bord de l’eau, les arbres morts
étaient vieux, désoeuvrés, ivres ou fous
les roseaux pliés ou morts aussi
étaient de fourbes enfants rieurs
surveillés par de frêles filles amères.
Les regards s’évitaient, méthodiques
mais nous pûmes apercevoir avant la nuit
au milieu du fleuve
passer parmi des bœufs squelettiques
les yeux vitreux de trois jeunes soldats.
Il commençait à faire froid
et les bœufs tremblèrent.
Cercier 2008.
( Souvenirs de Zangmu, « Le pont de l’amitié », frontière Sino-népalaise )
* Ibex : petit « chamois » du Tibet.